31 octobre 2025

La France sur le fil du rasoir...

Avec une dette publique dépassant 115 % du PIB et un déficit persistant de 5,4 %, la France traverse une zone de turbulences sans précédent. 

La trajectoire des finances publiques françaises s'est considérablement dégradée

De 68 % du PIB en 2007, la dette a franchi les 100 % en 2017 pour atteindre aujourd'hui 115 %. Plus inquiétant encore : cette progression s'est accélérée malgré une décennie de taux d'intérêt historiquement bas. Le déficit public, lui, n'est passé sous la barre des 3 % que quatre fois depuis l'adoption de l'euro en 1999. 

Pour stabiliser l'endettement, il faudrait un ajustement budgétaire de 3 points de PIB, soit environ 90 milliards d'euros. Un effort sans précédent en temps de paix, rendu encore plus improbable par le contexte politique actuel. 

Au-delà des chiffres, c'est la capacité même de l'économie française à générer de la croissance qui inquiète. La croissance potentielle tournerait désormais autour de 0,5 % en termes réels, contre 1,5 % à 2 % dans les années 1990. La productivité du travail stagne depuis une décennie, alors qu'elle a progressé d'environ 10 % aux États-Unis et en Allemagne. 

La situation se complique avec l'accumulation de facteurs déflationnistes. L'appréciation de l'euro et la concurrence des produits chinois exercent une pression baissière sur les prix. La demande intérieure privée nominale affiche une progression pratiquement nulle sur un an. Cette dynamique déflationniste rend l'ajustement budgétaire encore plus ardu : avec une inflation faible, les recettes fiscales progressent lentement tandis que les dépenses restent rigides. 

Après une décennie d'argent gratuit, l'ère des taux nuls est révolue. La France emprunte aujourd'hui à environ 3,5 % sur 10 ans. Chaque année, 200 milliards d'euros de dette doivent être refinancés aux taux actuels. La charge de la dette atteindra 55 milliards d'euros en 2025 et pourrait grimper à 70/80 milliards d'ici 2030, l'équivalent du budget de l'Éducation nationale. 

L'écart de rendement entre les obligations françaises et allemandes s'est brutalement élargi à 80 points de base depuis les élections législatives de juin 2024, reflétant une prime de risque politique. Les investisseurs intègrent désormais l'instabilité gouvernementale prolongée et l'incapacité à mener des réformes structurelles. 

Le blocage politique paralyse l'action

L'élection législative de juin 2024 a produit une fragmentation inédite de l'Assemblée. Le Nouveau Front Populaire détient 180 sièges, la coalition Ensemble 160, et le Rassemblement National 150. Trois gouvernements se sont déjà succédé sans pouvoir mettre en œuvre leur programme budgétaire. 

Le débat public se concentre sur l'identification de nouvelles recettes fiscales, taxe sur les  « super-riches » , contribution des  « boomers » , prélèvement sur les dividendes, plutôt que sur une réflexion structurelle. Avec des dépenses publiques à 57 % du PIB, un record parmi les pays développés, la France dispose pourtant théoriquement de marges de manœuvre considérables. 

Des filets de sécurité qui écartent la crise immédiate

Contrairement à 2010/2012, le système bancaire français présente des ratios de capitalisation solides (15/18 %) et une exposition limitée à la dette publique domestique (4 % des actifs, contre 10 % en Italie). Les mécanismes européens de soutien, le Mécanisme Européen de Stabilité et les instruments de la BCE, constituent un puissant facteur dissuasif contre les attaques spéculatives. 

La maturité moyenne de la dette, supérieure à 8 ans, offre également un coussin temporel. La France n'est pas exposée à un arrêt brutal du financement comme peuvent l'être des pays dont la dette est plus courte. 

Quel scénario envisagé ?

Le plus probable est celui d'une lente dérive. Le ratio dette/PIB progresserait vers 120/125 % d'ici 2027/2028, avec des ajustements budgétaires marginaux sous pression des marchés. Cette "japonisation", croissance faible, inflation basse, dette élevée mais stable, pourrait durer des années. 

Un scénario optimiste verrait une crise politique débloquer la situation et permettre un programme ambitieux combinant réduction des dépenses et stimulation de la croissance. Mais, cela requiert un consensus politique large qui fait défaut. 

La France se trouve dans une situation paradoxale. À court terme, le pays ne fait pas face à une crise financière imminente. Les mécanismes de protection : solidité bancaire, filets de sécurité européens, longue maturité de la dette, fonctionnent et écartent le risque d’un arrêt soudain du financement ou d’une panique de marché. Mais, cette stabilité apparente ne doit pas masquer la gravité des déséquilibres structurels.  

La vraie question n’est plus de savoir si un ajustement sera nécessaire, mais de savoir s’il sera choisi et maîtrisé ou subi et chaotique. L’issue dépendra in fine de la capacité du système politique français à retrouver une capacité d’action collective et à faire des choix difficiles avant que les marchés ne les imposent. 

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Muriel Tailhades Directrice Générale Zenith AM

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