31 octobre 2025

L’anticipation, maître mot de la transmission d’entreprise

En France, près de 37 000 transmissions ont été enregistrées en 2024 et la vague de départs à la retraite des dirigeants va se renforcer : sur la décennie à venir, environ 500 000 entreprises vont être transmises. La préparation de cette transmission est le gage de la pérennité de l’entreprise.  

Anticiper l’événement « transmitif » permet d’optimiser la charge fiscale, d’ajuster la structure capitalistique et de sécuriser le périmètre de l’opération au bénéfice du repreneur comme du cédant.  

L’organisation de la transmission s’articule autour de quatre chantiers :  

  1. Préparation de la documentation nécessaire,   
  2. Choix de la transmission,
  3. Optimisation fiscale/financière,
  4. Mécanismes de sécurisation (earnout, créditvendeur, garanties).

Céder à titre onéreux : optimiser le prix et sécuriser l’opération

Fiscalité du cédant 

La plusvalue de cession de titres par une personne physique est, par défaut, imposée au PFU (« flat tax ») de 30 % (12,8 % IR + 17,2 % PS), avec option possible pour le barème progressif lorsque des abattements historiques sont pertinents (titres acquis avant 2018, cas particuliers).   

Attention toutefois à la Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus faisant porter la flat tax à 34 % et à la nouvelle Contribution différentielle sur les hauts revenus la majorant de 7,2 %. Le dispositif d’abattement fixe de 500 000 € au profit du dirigeant de PME partant à la retraite a été ouvert jusqu’au 31 décembre 2024 ; sa disponibilité au moment du projet doit être vérifiée au regard des lois de finances en vigueur au jour de la cession (il n’est pas cumulable avec les abattements proportionnels). 


Ingénierie de prix et garanties 

Pour rapprocher vendeurs et acheteurs, l’usage d’un earnout (complément de prix indexé sur des performances futures) est courant ; fiscalement, le complément est imposé l’année de sa perception s’il présente un aléa réel à la date de cession (jurisprudence récente, CAA Douai 21/11/2024). La garantie d’actif et de passif (GAP) demeure l’outil central de sécurisation, souvent adossée à une « garantie de la garantie » (séquestre/caution) pour assurer la liquidité d’une indemnisation éventuelle. 

Apport-cession : différer l’impôt pour réinvestir et optimiser son patrimoine

En quoi consiste l’apport-cession ? 

L’apport-cession est une stratégie patrimoniale permettant de différer l’imposition sur la plus-value lors de la vente d’une entreprise. Elle consiste à apporter les titres de la société à une holding soumise à l’IS, créée par le dirigeant, avant de céder ces titres à un tiers.  

Report d’imposition 

L’apport bénéficie du report d’imposition prévu à l’article 150-0 B ter du CGI, sous réserve que la holding conserve les titres pendant trois ans ou réinvestisse au moins 60 % du produit de cession dans des activités économiques éligibles. Ce mécanisme offre plusieurs avantages : il sécurise la transmission, optimise la fiscalité et permet de réallouer le capital vers de nouveaux projets ou investissements diversifiés. Toutefois, il exige une anticipation rigoureuse : respect des conditions légales, analyse des risques de requalification, et cohérence avec les objectifs patrimoniaux et familiaux.  

LBO (Leveraged Buy Out) : tirer parti de l’effet de levier… sous contraintes

Attrait du LBO 

Le LBO et ses variantes MBO (acquisition par les managers en exercice) ou OBO (refinancement patrimonial du fondateur) consistent à faire acquérir l’entreprise par une holding qui s’endette pour financer le prix ; la dette est remboursée par les flux de dividendes et la génération de cash de la cible. L’intérêt principal est l’effet de levier (rentabilité des fonds propres) et la possibilité d’associer le management (incentive).  

L’attrait du LBO tient à la duplication de la valeur par effet de levier et à la continuité managériale ; sa faisabilité dépend de la capacité distributive de la cible, des taux, et du plafond de déduction des intérêts qui doit être intégré dès le business plan. 

Environnement de taux  

En 2025, le coût moyen des nouveaux crédits aux entreprises en France a diminué du fait de la baisse des taux, améliorant les conditions de financement des LBO. La dynamique de crédit est positive, ce qui soutient la faisabilité des transactions bien structurées. 

Transmettre à titre gratuit en maitrisant les coûts

Le pacte Dutreil (articles. 787 B et 787 C du CGI) 

Le pacte Dutreil permet une exonération de 75 % de la valeur des titres transmis à titre gratuit (donation ou succession) pour les sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale et/ou leur holding animatrice sous conditions d’engagements de conservation (collectif de 2 ans puis individuel de 4 ans) et d’exercice d’une fonction de direction pendant 3 ans après la transmission. Les assouplissements introduits depuis 2019 (engagement unilatéral possible, obligations déclaratives allégées) ont amélioré l’opérationnalité du dispositif. L’éligibilité des holdings animatrices a été clarifiée en 2024, ce qui sécurise de nombreux groupes familiaux. 


Réserve d’usufruit ou comment réduire l’assiette taxable et conserver les revenus ? 

La donation de la nuepropriété avec réserve d’usufruit réduit l’assiette des droits qui ne portent que sur la seule valeur de la nuepropriété, déterminée selon le barème de l’article 669 du CGI, soit en fonction de l’âge de l’usufruitier. L’usufruit rejoint la nue-propriété au décès de l’usufruitier en franchise d’impôt. Combinée au pacte Dutreil, la donation de la nue-propriété devient un puissant mécanisme. Une attention toute particulière doit être portée à la chronologie des opérations et à la gestion des droits respectifs de l’usufruitier et du nu-propriétaire.  

Comment choisir entre les quatre voies ?

Dans l’hypothèse où l’objectif premier serait d’obtenir le capital né de son travail et où le retrait du dirigeant est souhaité, la cession à titre onéreux s’impose. 

Le mécanisme d’apport-cession est efficace, lorsque la double opération se réalise dans un intervalle court, dans la mesure où la majeure partie du prix de cession est réinjectée dans le capital de la société. Bien structuré, l’apport-cession est un outil puissant pour transformer la valeur créée en liquidités tout en préparant la pérennité du patrimoine. 

Le LBO/OBO permet de monétiser une partie de la valeur tout en conservant un rôle et un potentiel de revalorisations en acceptant une discipline financière (service de la dette, plafonnement des intérêts) et un cadre d’incentive dorénavant encadré.   

Si la priorité est la pérennité familiale, le pacte Dutreil associé à une donation demeure la voie royale. La réserve d’usufruit du disposant lui permettra de conserver ses droits politiques d’actionnaire tout en préservant ses revenus durant la phase de transmission.  

Quelle que soit l’option retenue, il s’agira de s’assurer au moment de l’opération de la stabilité du cadre fiscal qui l’encadrera. Les lois de finances étant votées en fin d’année, c’est au jour de leur promulgation que le cédant connaitra la fiscalité qui s’appliquera à la réalisation de son entreprise. Et les surprises peuvent être désagréables.

Benoist Lombard

Directeur Général Adjoint du groupe Crystal et Président Maison Laplace

A lire dans la même catégorie
 
31 octobre 2025

La réussite d’une entreprise repose nécessairement sur un ensemble de facteurs économiques et conjoncturels, qui ne suffisent pas à eux seuls à assurer le développement de la société. Le dénominateur commun à la croissance d’une entreprise est par essence l’Humain, et plus particulièrement les « hommes-clés » que l’on retrouve derrière chaque projet entrepreneurial.

31 octobre 2025

Avec une dette publique dépassant 115 % du PIB et un déficit persistant de 5,4 %, la France traverse une zone de turbulences sans précédent.

31 octobre 2025

Le projet de loi de finances pour 2026, tel que présenté en Conseil des Ministres le 14 octobre 2025 envisage d’instaurer de nouvelles impositions et la suppression ou modification de certaines mesures fiscales.

26 septembre 2025

Créer une entreprise, la faire grandir, la céder ou la transmettre : derrière ces mots se cache une aventure humaine et économique, jalonnée de choix déterminants. À chaque étape, le dirigeant se retrouve face à des décisions qui engagent son avenir, celui de son entreprise et de sa famille. Et dans ce parcours, une certitude s’impose : l’accompagnement n’est pas une option, mais un levier de réussite.

26 septembre 2025

Il y a des idées qui reviennent régulièrement dans le débat public, portées par la promesse d’une « justice fiscale » et d’un monde meilleur. La taxe Zucman, impôt plancher sur la fortune (IPF) de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, en est l’exemple parfait. Mais, derrière la façade a priori séduisante de la lutte contre les inégalités, cette mesure relève surtout d’une démagogie fiscale qui ignore la réalité économique, juridique et même… mathématique.

26 septembre 2025

Bien que le mandat de protection future et le mandat à effet posthume aient été introduits il y a plus de quinze ans dans le Code civil français, ces dispositifs continuent d’évoluer. Ainsi, le décret n°2024-1032 a récemment instauré le registre des mandats de protection future, comme le prévoyait déjà la loi de 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement.