29 novembre 2025

Alors bulle ou pas bulle ?

La fulgurante ascension des valeurs technologiques liées à l'intelligence artificielle suscite des comparaisons inquiétantes avec la bulle internet de 2000. Le Nasdaq affiche une progression spectaculaire, portée par les géants de la tech dont les valorisations atteignent des sommets. Pourtant, malgré certaines similitudes, la situation actuelle présente des différences fondamentales qui invitent à la nuance plutôt qu'à la panique. 

Des différences fondamentales avec l’année 2000

Contrairement aux start-ups de la bulle internet qui brûlaient du cash sans modèle économique viable, les leaders actuels de l'IA génèrent des profits massifs. En 1999, Cisco affichait un P/E (Price/Earning, Cours sur bénéfices) de 47 et Microsoft de 75, contre 26 pour Nvidia et 33 pour Microsoft aujourd'hui. Plus révélateur encore : les marges bénéficiaires moyennes du secteur atteignent 26 %, là où les « dot.com » de 2000 accusaient souvent des pertes. Les bilans sont solides, la génération de cash importante, et les modèles d'affaires éprouvés. 

Toutefois, plusieurs signaux d'alerte méritent l'attention. La concentration du marché inquiète : les 7 premières capitalisations représentent 34 % du S&P 500, soit un niveau de concentration plus élevé qu’en 1999. Le ratio P/E du S&P 500 atteint 27, certes un niveau inférieur aux 33 de 1999, mais élevé dans un contexte de ralentissement économique. 

Surtout, une question cruciale demeure sans réponse : aucun « hyperscaler *» ne fournit de métriques quantitatives précises sur le retour sur investissement de leurs dépenses massives en IA. Microsoft, Alphabet et Amazon restent optimistes mais vagues, et seul Meta affirme qu'une part significative de ses revenus publicitaires provient de campagnes utilisant l'IA générative, sans prouver qu'il s'agit de revenus additionnels. Les analystes estiment que ce "bénéfice du doute" pourrait persister jusqu'en 2026, mais la poursuite de la dynamique haussière dépendra de la capacité du secteur à démontrer une monétisation effective. 

La diversification et une stratégie équilibrée comme bouclier

L'histoire nous enseigne que lors de l'éclatement de la bulle internet, tous les actifs n'ont pas subi le même sort. Entre janvier 2000 et octobre 2002, le Nasdaq s'est effondré de 73 %, mais les petites et moyennes valeurs décotées ont progressé de 21 %, les obligations d'entreprises ont quant à elles gagné 31 %. Cette leçon historique reste d'une actualité criante. 

Aujourd'hui, le MSCI World contient 72 % d'actions américaines et 26 % de technologie (près de 30 % en incluant Amazon). Cette concentration excessive expose les portefeuilles à une vulnérabilité importante. D'autant que les marchés européens affichent des valorisations plus raisonnables et que les marchés émergents présentent encore des opportunités de valorisation attractives. 

Face à cette situation, la meilleure approche n'est ni l'euphorie incontrôlée ni la fuite précipitée. L'IA constitue une révolution industrielle majeure même si le calendrier et l'ampleur demeurent incertains. La solution réside dans un rééquilibrage réfléchi : maintenir une exposition au secteur pour capter le potentiel de croissance, mais contrôler strictement les pondérations pour limiter le risque de concentration. 

Concrètement, cela signifie réduire les positions devenues disproportionnées dans les Magnificent 7, sans pour autant sortir complètement de ces valeurs de qualité. Privilégier une diversification géographique réelle, en s'éloignant de la composition du MSCI World pour intégrer davantage d'Europe et de marchés émergents. Diversifier également par style d'investissement, en intégrant des petites et moyennes capitalisations dont les valorisations restent attractives, et par secteur, en rééquilibrant vers des segments délaissés mais fondamentaux. 

Dans un contexte où certaines valorisations sont tendues sans être aussi extrêmes qu'en 1999, la diversification n'est pas une protection absolue, mais elle constitue le meilleur compromis entre participation à un thème porteur et maîtrise du risque. Car si 2025 n'est pas 1999, l'histoire nous rappelle qu'en matière de marchés financiers, la rigueur et l'équilibre sont rarement regrettables. 

*Hyperscaler : On nomme hyperscaler un fournisseur important de services cloud capable de proposer des services de calcul et de stockage à grande échelle. 

Muriel Tailhades

Directrice Générale Zenith AM