30 janvier 2024

Rôle, consentement et trajectoire de l’impôt

Le rôle de l’impôt a évolué au fil des siècles pour progressivement modifier ses objectifs économiques, ce qui perturbe le consentement à l’impôt.

Un rôle original et originel 

Dans sa conception classique, l'impôt sert à la couverture des dépenses publiques de la communauté ou de la société, les dépenses des services publics. Ce rôle original, et originel, de l'impôt est d’autant plus facilement acceptable que l’Etat utilise le prélèvement pécuniaire pour l’affecter, en vertu de sa puissance exclusive et régalienne, à des dépenses protectrices et éducatives.

L’article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, reprend cette conception classique de l’impôt dans son énoncé et a force de loi Suprême en ce qu’elle a « pleine valeur constitutionnelle »[1] : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

Un rôle contributif et redistributif

Progressivement, la fonction de l’impôt en tant que levier au service d’une politique économique a permis à l’Etat de taxer les domaines ne devant pas faire l'objet d'un effort et de détaxer ceux devant faire objet d'une promotion. L’impôt permet alors d’orienter les comportements des agents économiques - particuliers ou entreprises – vers les directions souhaitées par les acteurs politiques et sociaux décisionnaires.

Les rôles de l’impôt peuvent donc se définir par leurs caractères contributifs et redistributif. Au 20ᵉ siècle, ce dernier a fini par… s’imposer. La notion d’équité fiscale prime sur les conceptions traditionnelles qui fondent les principes de l’imposition. Elle est obtenue par la progressivité de l’impôt, que l’on retrouve en matière d’impôt sur les revenus d’activités ou de droits de mutation à titre gratuit, contrairement à la proportionnalité de l’imposition, qui a la faveur du législateur en matière de taxation des revenus du capital[2]

La loi fiscale mute en un instrument par excellence de la politique de l'État en matière économique, ce à des fins de justice sociale.

Une des raisons qui menèrent les barons à se révolter contre le roi Jean sans Terre, le 15 juin 1215, fut son usage excessif et arbitraire des droits féodaux, dont la levée de nouvelles taxes. La réitération de la Charter of Liberties, la Magna Carta[3], limita ce pouvoir royal dans sa douzième clause qui consacre le principe du consentement à l'impôt[4].

L’avènement des démocraties parlementaires repose pour partie sur le consentement à l'impôt.

 

Un double consentement 

En 2022 et 2023, le Conseil des prélèvements obligatoires[5] a identifié les ressorts du consentement à l’impôt des contribuables français. Le constat est éclairant : les classes moyennes sont celles qui se vivent comme les plus écrasées fiscalement, tandis que, collectivement, le niveau des prélèvements obligatoires est sous-estimé par une majorité des répondants. 

Le Professeur Michel Bouvier[6] distingue le consentement à l’impôt et le consentement de l’impôt :

  • « Le consentement à l’impôt » est l’acceptation de principe de l’impôt. Il s’agit donc de l’acceptation sociologique de l’impôt par le contribuable lui-même en tant que citoyen. Le respect des obligations déclaratives par les assujettis en découle, car le contribuable n’est pas en rupture avec son civisme fiscal.
  • « Le consentement de l’impôt » suppose que la levée du prélèvement soit explicitement acceptée par ceux sur qui en retombe la charge ou par leurs représentants. Il est donc avant tout de portée politique : le citoyen approuve le consentement de l’impôt exprimé par ses représentants.

À l’inverse du consentement de l’impôt, non sondée, le consentement à l’impôt est mesuré. Et 75% des Français pensent que le niveau d’imposition en France est trop élevé[7].

Si une majorité de Français continue à porter un jugement négatif sur le niveau et l’équité des prélèvements fiscaux et sociaux, le paiement des impôts et cotisations demeure pourtant considéré comme un acte citoyen.

La problématique du niveau des prélèvements obligatoires en France interfère naturellement sur le consentement à l’impôt : en 2022, 45,2 % de notre richesse nationale sont prélevés en impôts, taxes et cotisations, ce qui nous place en tête du classement européen[8].

Une réforme fiscale s’impose-t-elle ?

Alors la question de la réforme fiscale idéale pour l’avenir, si complexe soit-elle, se pose nécessairement, et ce, afin de restaurer le consentement à l’impôt. La baisse des prélèvements obligatoires et une juste redistribution des taxes naitraient de l’exploration de quatre pistes à travailler :

  • La simplification du système fiscal pour rendre les règles plus claires et plus faciles à comprendre, en éliminant, par exemple, nombre des 465 niches fiscales de notre législation,
  • La justice fiscale qui pourrait impliquer de revoir la répartition de l’impôt entre les différents groupes de revenus, notamment ceux des entreprises, et de prendre des mesures pour lutter contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux, terrains de jeux de trop de firmes internationales.
  • La digitalisation de l’économie suppose de rebattre le cadre fiscal national et international actuel pour s’adapter à la réalité sans frontières des entreprises numériques.
  • Face à l’urgence climatique, taxer les réels pollueurs et inciter fiscalement les énergies décarbonées.

Ces pistes peuvent constituer des amorces de réflexions afin de réconcilier le contribuable, l’impôt et son usage dans une trajectoire de maîtrise de nos dépenses publiques.

[1] Conseil constitutionnel : Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 

[2] Depuis le 1er janvier 2018, un prélèvement forfaitaire unique (PFU) dit « flat tax » s’applique ainsi aux revenus du capital de particuliers.

[3] La Grande Charte ou Charte des Libertés

[4] No scutage or aid may be levied in our kingdom without its general consent[...]

[5] https://www.ccomptes.fr/fr/publications/barometre-des-prelevements-obligatoires-en-france-premiere-edition-2021 et https://www.ccomptes.fr/fr/publications/barometre-des-prelevements-fiscaux-et-sociaux-en-france-deuxieme-edition-2023

[6] https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/268486-le-consentement-de-limpot-les-mutations-du-citoyen-contribuable

[7] https://www.ccomptes.fr/fr/publications/barometre-des-prelevements-fiscaux-et-sociaux-en-france-deuxieme-edition-2023

[8] https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/2022-lannee-record-des-prelevements-obligatoires-depuis-trente-ans

Benoist Lombard

Directeur Général Délégué du groupe Crystal et Président Maison Laplace

Lire aussi
 
30 janvier 2024

Loi de finances, quelles nouveautés pour 2024 ?

Comme chaque année, la loi de finances pour 2024 introduit une série de mesures fiscales qui s’appliqueront progressivement à compter du 1ᵉʳ janvier.

29 janvier 2024

Immobilier : où investir en 2024 ?

Pour résumer l’année immobilière 2023, il est important de retenir que malgré la plus forte compression des volumes de transaction depuis 10 ans, les prix immobiliers n’ont connu qu’une correction lente, contenue et variable selon les territoires.

29 janvier 2024

Placements financiers : quelles perspectives pour 2024 ?

2023 est déjà loin derrière nous… Alors que reste-t-il d’une année d’attentisme influencée par la hausse des taux et d’une épargne sans risque rémunératrice ? Certaines classes d’actifs financiers ont su tirer leur épingle du jeu, mais prenons le temps de balayer les principales classes d’actifs et leurs perspectives !

26 janvier 2024

Comment se porte l’économie de l’Euroland ? Pendant ce temps, outre-Atlantique…

Parmi les indicateurs les plus suivis à l’heure de jauger la conjoncture économique, les indices d’activités PMI de la Zone Euro étaient au programme cette semaine. L’heure était à un pessimisme modéré en amont de la publication, puisque les économistes attendaient une publication en territoire de contraction. Un scénario qui n’aurait pas nécessairement été accueilli comme une mauvaise nouvelle pour les stratèges de la BCE…

12 janvier 2024

Les regards toujours tournés vers l'inflation... ; Les cryptos monnaies à un carrefour !

D'après le Département du Travail, l'indice des prix à la consommation américain a augmenté de 3,4% en décembre sur un an glissant. La publication à 14h30 ce jeudi du taux d'inflation américain CPI de décembre était, comme souvent en 2023, l’attraction principale de la semaine dans les salles de marché.

21 décembre 2023

Quels avantages à optimiser la transmission de son patrimoine avec les donations transgénérationnelles ?

Devant l’allongement de l’espérance de vie, il n’est pas rare d’envisager l’anticipation de la transmission de son patrimoine sur plusieurs générations. Depuis 2006, la donation transgénérationnelle permet au donateur de réaliser un « saut de génération » en gratifiant directement ses petits-enfants, et ce, au détriment de ses enfants qui acceptent de « céder leur place » à la génération suivante.